mardi 20 septembre 2016

Ça donne quoi au juste de mettre ses entraînements sur Facebook?

Il y a quelques années, mon plus grand défi avait été de présenter de mon projet de maîtrise. Mon plus grand défi car cela impliquait de faire une présentation en anglais devant environ 250-300 personnes. Faisant partie des gens pour qui présenter devant un public rend presque malade d'anxiété, de combiner cela dans une langue que je ne maîtrise pas rendait la tâche presque impossible. Tout le monde a ce genre d'épreuves tôt ou tard dans sa vie où on doit se préparer pendant plusieurs semaines pour réussir quelque chose. Parfois c'est scolaire, parfois c'est au travail. Souvent en tout cas, c'est un passage obligatoire vers la prochaine étape, une sorte de suite logique bien encadrée qui fait partie d'un plan où les règles sont connues.

Quelques années plus tard, en 2010, je débutais la course à pied avec en tête le demi-marathon de Montréal. Même si se lancer dans une telle aventure est stressant, ce genre de projet s'accompagne de programmes d'entraînement, hyper accessibles étant donné la popularité du sport. Grosso-modo, c'est comme un entraîneur qui nous tient par la main tout au long du périple, où les étapes et les entraînements sont connus d'avance. C'est généralement une source de réconfort qui permet de rester rationnel en se disant que des centaines de personnes sont passées par là, qu'on a qu'à suivre le programme et qu'on sera prêt. À quelques coup de pieds dans le cul près, c'est pas mal la réalité, ces programmes conviennent aux gens peu importe leur condition physique, tant que l'effort est au rendez-vous. En cours de progression, les gens partagent généralement leurs bons coups sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Strava. Plusieurs associent des traits narcissiques à ce genre de comportement. Certains le font pour attirer les likes ou les bravos, ou pour se démarquer d'une façon quelconque. Pour moi, c'était plus une façon de dire aux gens que j'étais fier de mon progrès, d'essayer d'en convaincre d'autres de d'emboîter le pas dans de bonnes habitudes. Pour moi un like c'était quelqu'un d'absent physiquement qui voulait prendre le temps de célébrer avec moi ma petite victoire personnelle de rien du tout.

Même si j'adore courir pour la liberté (et la libération!) que ça me procure, je cours principalement pour voir jusqu'où je peux me rendre. Jusqu'où je peux me rendre dans un objectif carrément optionnel dans ma vie. Et là est toute la nuance avec les défis de tous les jours au travail ou à l'école, comme ma présentation orale pour mon projet de maîtrise. La majorité des défis qu'on attaque font partie d'un "chemin" tracé, où les conséquences d'abandonner ont un impact direct sur notre vie. J'ai plongé dans le monde de la course à pied car c'est une façon pour moi de me tester face à moi-même, où la facilité d'abandonner est déconcertante, où l'abandon est toujours en train de te chuchoter à l'oreille, et où le lendemain matin, la vie continue sans que personne ne remarque quoi que ce soit, tant avec l'abandon que la réussite.

Pour la première fois de ma vie, je m'attaque à une épreuve de course à pied très peu populaire, l'ultra-marathon en montagne. Les programmes d'entraînements n'existent pas vraiment pour ce genre de courses, et certains pensent que ceux qui font ce genre de distances sont un peu fous et ne savent pas où s'arrêter. Ce genre de projets, ça ne fait pas partie d'un chemin tracé comme réussir sa maîtrise. Ce genre de projet ne s'accompagne pas non plus d'un programme clé en main comme un marathon ou un demi-marathon. C'est dans le très optionnel dans une vie metons. Mais ça demande beaucoup de sacrifices. En incluant le transport, l'échauffement, les étirements (oui je m'étire malgré les croyances populaires!) et surtout, le temps de décanter après un entraînement, ça peut prendre 15 heures de ma semaine. Devoir prendre 3 ou 4 heures pour récupérer dans le divan après un entraînement qui a duré tout l'avant-midi, ça implique des sacrifices même jusque dans le couple. Même chose le soir lorsqu'on est brûlé raide à 8h30 et que la seule chose qui nous intéresse, c'est de dormir pour être en forme pour l'entraînement du lendemain matin. Tout ça pour quelque chose d'optionnel où le fait de lâcher ne changerait rien dans la vie de personne. Ni la mienne en fait. Je ne gagnerai jamais une course peu importe la distance, encore moins gagner ma vie avec ce genre de projet. Le nombre de fois où après la moitié de mon entraînement en passant devant mon auto j'ai fleurté avec l'idée de retourner chez moi... Chaque excuse pousse à vouloir abandonner. Pourquoi pas si ça ne change rien dans le fond? Parfois, la seule motivation qui reste, c'est simplement de se dire que tant qu'à être rendu aussi loin dans la progression, à quelques semaines du mythique ultra-marathon, aussi ben se rendre au bout, qu'il y a plus de fait que ce qu'il reste à faire. Le pire c'est se demander si toutes les semaines passées à se préparer, est-ce qu'elles se faisaient comme il le fallait? Sans programme clair, est-ce que je fonce tête baissée dans le mur? Est-ce que c'est la dernière fois dans ma vie où j'ai l'opportunité de m'attaquer à ce genre de projet qui est le point central de ma vie en ce moment? Et si j'échouais... Normalement mes échecs, je les vois comme des leçons pour réussir à nouveau. Mais si c'était ma seule occasion de réussir? Et si après les 44 premiers kilomètres je dépassais le temps de coupure des 8 heures et que les bénévoles m'empêchaient d'attaquer les 11 derniers kilomètres? Et si ça allait s'arrêter drette là, assis sur une chaise en attendant de me faire raccompagner à mon auto pour m'en retourner chez moi pour aller travailler le lendemain matin, tout simplement?

Et les réseaux sociaux dans tout ça, les likes et les bravos? Tant pour moi que pour ceux que leur montagne à eux, c'est de réussir leur premier 5 km, ça représente parfois la petite-dose-de-lâche-pas-tu-vas-réussir, le petit plus qui fait la différence, comme des parfaits inconnus le long du parcours d'une course qui lisent ton nom sur ton dossard en te criant "let's go Normand, ça achève!" quand tu as l'air d'une épave qui se demande pourquoi elle fait ça au juste. Faque c'est un peu pour ça que les gens vous écœurent avec ça sur Facebook. Ça aide à chasser les deux petits démons sur les épaules!

dimanche 7 août 2016

Récit de course - 5 Peaks Coaticook demi-marathon

Dimanche matin.

Un dimanche de course comme bien d'autres. Pendant que les gens dorment, le cadran sonne tôt, 6h30 am. La routine d'un matin de course est bien rodée, je ne compte plus le nombre de courses que j'ai pu faire durant les 7 dernières années.

Quelque chose de différent cette fois-ci par contre. Anxiété et stress sont de la partie! La dernière fois où je me suis senti comme ça avant une course, c'était à mon premier marathon il y a quelques années. Je respire tranquillement, mais j'expire saccadé par moment. C'est la première fois où je m'attaquerai à la course à une distance de 21.1 km en sentiers, en montagne.

Peur de ne pas terminer.
Peur de terminer dernier.
Peur d'avoir l'air fou.
Peur de regretter de m'être inscrit à l'ultra-marathon 55 km de Bromont en Octobre...

Je prends mon auto direction Baldwin Mills près de Coaticook. 50 min de trajet à essayer d'anticiper comment le tout se déroulera.

Arrivé sur place, je récupère mon dossard, et en profite pour demander combien il y a d'inscriptions pour le demi-marathon. 19 personnes. Je suis assuré d'un top 20! L'organisateur de la course rencontre les coureurs avant la course pour expliquer les consignes de sécurité. C'est fou comment entendre "plusieurs montées difficiles, c'est du costaud" et "descentes très techniques avec un secouriste sur place s'il y a des chutes" n'aide pas à ma confiance. J'apprendrai plus tard qu'une fille est tombée au sol en pleine face dans une roche.  "Mon nom c'est Luc et c'est moi qui a fait le tracé de la course. C'est après moi que vous pourrez sacrer pendant la grosse montée". Bon ça c'est l'insulte à l'injure!

Je regarde les 18 autres coureurs à la ligne de départ et je me demande ce que je fais là. Tout le monde à l'air en shape olympique comparé moi. Ils se connaissent presque tous et parlent des dernières courses de trail aux 4 coins du Québec. Je me sens tellement imposteur. Décidément, la course en trail vise une clientèle très, très, très cible. Je décide d'aller me placer en arrière complètement pour ne pas être dans les jambes.



Le départ est lancé pour la première des deux boucles de 10 km. Je me joins à deux coureurs devant moi. La première section prend 12 minutes (1.85 km) pour se rendre aux sentiers de la montagne. Déjà une centaine de mètres de dénivelé dans les jambes et je pompe l'huile. Les deux coureurs avant moi ne l'ont pas facile non plus.



La deuxième section prend 21 min (2.50 km) sur 215 mètre de montée. C'est infernal. Câlisse de Luc. Les deux coureurs me distancent peu à peu. Je suis carrément en train de marcher. J'ai besoin de mes mains pour m'agripper à des roches ou des arbres à certains endroits tellement la montée est abrupte dans un champ de roches grosses comme des ballons de plage. Je rejoins et dépasse une fille qui semble en avoir plein son casque elle aussi. Rendu en haut, les coureurs avec qui j'étais s'arrêtent un peu pour prendre une pause. Je serre les dents et je continue.



La troisième section est la fameuse descente technique avec le secouriste. Une centaine de mètres de dénivelé sur 500 mètres distance. 500 mètres qui prennent 5 min à faire tellement c'est difficile de descendre. Je comprends maintenant la raison des lumières rouges qui flashaient juste avant d'amorcer la descente.



La quatrième section remonte une fois de plus en haut de la montagne. Environ 1 km de distance avec 115 mètres de dénivelé. Une dizaine de grosses minutes de souffrance. Presque aussi atroce que la montée de la deuxième section. Je rejoins un autre coureur avec un chandail noir et je le talonne sans vouloir le dépasser.



La cinquième et dernière section descend sur 4 km jusqu'à la ligne de départ pour compléter la première boucle. Je décide de larguer le coureur au chandail noir. Une vingtaine de minutes plus tard, tout sera à refaire une seconde fois. Vers la fin de la première boucle, je croise les meneurs qui ont déjà entamé leur deuxième boucle. Ils doivent avoir facilement 15 minutes d'avance sur moi.

Durant la première section pour me rendre à nouveau vers les sentiers de la montagne, je croise le coureur au chandail noir qui termine sa première boucle. J'ai une solide avance sur lui. C'est bon pour le moral. Je dépasse tranquillement pas vite deux autres coureurs. Je complète la première section 2 minutes plus lentement que la première fois, la fatigue commence à embarquer.

Je complète la deuxième section avec 3 minutes de plus que la première fois. Bon okay, j'ai arrêté pour pisser contre un arbre, ça doit expliquer en partie mon retard. Ça et le fait que je marche sans arrêt dans l'interminable montée. Luc esti...

De retour à la descente de la troisième section, je prends mon temps. Les jambes et chevilles sont fatiguées, et ce n'est pas le temps de prendre une débarque. Je prends encore du retard ici et là. Il fait chaud, je n'ai presque plus d'eau. Mon linge lui ne manque pas d'eau et est trempe à lavette et commence à devenir lousse. Je commence à perdre mes shorts!

La quatrième section qui remonte à nouveau en haut du Mont Pinacle est un véritable chemin de croix. Je marche de A à Z. Malgré tout mon coeur bat à 170 bpm. Le retard s'accumule une fois de plus. Je croise un bénévole qui me demande comment vont les cuisses. J'imagine que j'ai l'air d'une épave.

Durant la dernière section qui descend jusqu'à la ligne d'arrivée, j'entends des encouragements de spectateurs derrière moi. Je me retourne, le coureur au chandail noir est là! Impossible, j'avais tellement d'avance! Il doit être à 400-500 mètres derrière moi. Je n'ai plus de jus et je commence à me résigner que je vais me faire passer à la toute fin. Ça devait faire 45 minutes que je courais seul, sans personne en vue ni en avant, ni en arrière de moi.

Moins de 1 km, le sentier est très technique. Plusieurs petits ponts en bois. J'ai les chevilles qui virent sur les côtés dans les descentes remplies de roches tellement mes jambes sont épuisées. En quittant l'avant dernier point, j'entends le coureur en arrière de moi embarquer dessus. 10 mètres en arrière de moi. Je décide alors de garder mes énergies et le laisser me rejoindre jusqu'à la toute dernière portion en terre battue, avec peu d'obstacles. Je serai davantage dans mon élément de coureur sur route pour donner tout ce que j'ai.

Dernière petite descente et dernier pont à 4 marches à passer par dessus la rivière. C'est maintenant ou jamais. Je décide d'écraser la pédale. J'arrive au pont et je skip les 4 marches d'un coup. Les 4 marches pour descendre du pont aussi. J'accélère au maximum. Pace de 4 min 30 dans une portion où j'allais normalement à 6 min du kilomètre. Fréquence à 185 bpm. Je n'ai aucune idée si je vais pouvoir tenir ça longtemps, encore moins si je pourrai le faire jusqu'à la fin ou si je vais casser et me faire dépasser. J'en ai pour peut-être 90 secondes avant de terminer ma course. Pas question qu'il l'ait facile s'il veut me dépasser.

Je vole par dessus les trous d'eau, les racines et les roches. Je coupe les courbes en maximum. Je vois le sentier au loin qui sort du bois pour déboucher sur l'aire de départ. En sortant du bois je regarde en arrière pour voir où l'autre coureur est rendu. Je ne le vois plus!!!

Je franchi la ligne d'arrivée brûlé raide. Je me couche au sol. Le coureur au chandail noir termine et vient me voir, me taper dans la main, pour me dire que j'étais une machine, que j'ai terminé en force ça a aucun sens. Son ami arrive, il me pointe en me disant que lui (moi!!) c'est une machine.

J'ai terminé 11e sur 20, ce qui n'est pas super impressionnant. 25 minutes derrière le gars en première place. Grosse volée. Malgré ma peur et mon sentiment d'imposteur avec ces coureurs qui m'impressionnaient tant à la ligne de départ, il semblerait que je suis une machine aux yeux de l'un d'entre eux! Wow!