mercredi 21 octobre 2015

Mes Jeux Olympiques à moi

Pour moi, franchir la distance de 42.2 km, ce n'est ni facile, ni assuré. C'était la 3e fois que je m'attaquais à ce défi, avec encore le sentiment amer de l'échec de l'an dernier. Ma préparation avait été parfaite. Un été complet d'entraînement sérieux. Une bonne alimentation. Suffisament de repos. Tout ça ne m'avait pas préparé à une douleur atroce à la hanche pendant les 12 derniers kilomètres. 12 kilomètres à courir en boitant avec les dents serrées en se disant qu'on est mâle en tabarnak de pas lâcher, en voyant tout le monde te dépasser, en voyant toutes tes chances de battre ton record s'émietter pas après pas, ça forge le caractère. Ça forge autant le caractère que ça laisse une trace. Une trace dans la confiance qui reste dans ta tête jusqu'à la prochaine fois où tu affrontes le défi une fois de plus. Et ce défi, mon défi, c'était le Scotiabank Toronto Waterfront Marathon 2015. 

La dernière course de l'année, c'est comme des minis Jeux Olympiques. C'est la Concrétisation, la journée pour laquelle tu t'es préparé pendant des mois, pendant plusieurs centaines d'heures, à la chaleur, à la pluie, heures après heures, sacrifices après sacrifices, où tu as échangé des dimanches matins chez Cora ou dans le confort de ton lit pour des entraînements de 2 heures, à te demander des fois c'est quoi le trip.  La dernière course de l'année c'est aussi une célébration, un rassemblement avec des milliers de personnes de plus de 50 pays venus faire exactement la même que toi, se mesurer, se prouver, se dépasser. Pour certains c'est le projet d'une vie.

Dimanche matin, le cadran sonne. 5h00 AM. Mon équipement de course est prêt depuis la veille sur la chaise. Mon équipement était dans mon sac de sport prêt depuis 2 jours, et qui a été vérifé, re-vérifié, re-re-revérifié, 74 fois. Avant de partir pour Toronto, et après être arrivé à Toronto. Ça fait beaucoup de vérifications. Avoir moins vérifié mon sac et avoir plus vérifié l'itinéraire pour se rendre à la ligne de départ en transport en commun, ça aurait peut-être aidé à ne pas me perdre le matin de la course dans une ville que je ne connais pas. Pour m'aider, une chance qu'en plus le tramway est tombé en panne. Un tramway qui tombe en panne c'est super bon pour la gestion du stress. 

Je me présente dans mon groupe de départ. Nous sommes 26 000 coureurs qui prennons le départ, dont 3822 qui s'aventurons pour le 42.2 km. Dans le froid, le vent et le soleil qui se lève, on sent un mélange de stress, de joie et de nervosité généralisé. Le départ est lancé à l'heure prévue, 8h45, avec les coureurs d'élite qui prennent le départ quelques minutes avant moi.

Mon plan était simple, prendre les 2 ou 3 premiers kilomètres pour m'échauffer, et ensuite augmenter la cadence et être à l'écoute de mon corps pour voir comment le tout se déroule. Idéalement éviter de dépasser une fréquence cardiaque de 165 en début de trajet. 

Les premiers kilomètres ont été ceux qui m'ont paru passer le plus rapidement de ma vie. Je n'ai même pas eu connaissance que j'attaquais le 5e kilomètre quand j'ai aperçu au loin le lapin de 3h40. Je me rapprochais de lui. Je visais intérieurement un chrono de 3h45, alors ce n'était pas normal d'être aussi rapide en début de course. Je ne devais pas tomber dans le piège de partir trop rapidement, influencé par la marée humaine qui m'entoure, et les centaines de spectateurs qui hurlent le long du parcours. Un grand sage m'a déjà dit "Si tu pars en innocent, tu vas finir en innocent".

Malgré ma cadence élevée, ma fréquence était dans les 150-155. C'était bon signe, premier moment de confiance dans la course! Quelques minutes plus tard je faisais maintenant partie du groupe d'environ 30 coureurs suivant le lapin de 3h40. Peu de temps après avoir rejoint le groupe, c'est à ce moment qu'on voit arriver à sens inverse le groupe du Kenya et de l'Éthiopie. Une dizaine de coureurs tous habillés de la même façon, escortés de motos. Vraiment impressionnant. 100% des têtes de notre groupe les ont regardé passer. 

Sans m'en rendre compte, le groupe du 3h40 réduisait en nombre. Vers le 15e kilomètre, c'est à ce moment que j'ai réalisé que ça allait être une journée spéciale, que j'avais des chances de battre mon record. Je savais par contre que j'allais à une vitesse beaucoup trop rapide pour moi et que ça allait nécessairement me rattraper. J'ai alors décidé d'utiliser une stratégie vraiment peu recommandée, celle de mettre du temps en banque pendant que ça va bien en prévision de casser en fin de course, fatigue ou douleur oblige. J'estimais donc que vers le 32e ou 33e kilom'etre j'allais décrocher du groupe, me laisser rattraper par le groupe de 3h45, et tenter de rester accroché avec eux jusqu'à la fin.

Le 21e kilomètre approchait. La foule dense de spectateurs apparaissait au loin, entre les hauts immeubles du centre-ville de Toronto, incluant la tour du CN en vue. Quand les gens du demi ont quitté, je me suis dit la même chose que lors de mes 2 premiers marathons, "bon, la moitié de fait!".

Le 30e kilomètre approchait, et le groupe du 3h40 était rendu maintenant à 6 coureurs, incluant le lapin. Ma fréquence cardiaque frôlait les 170-175 depuis déjà un bon moment. Je brûlais la chandelle par les deux bouts, mais j'avais déjà accepté de décrocher dans les prochains kilomètres et terminer en mode survivor. 

À 10 km de l'arrivée, notre groupe amaigri du 3h40 dépassait de plus en plus de personnes qui venaient de casser. Des gens arrêtés sur le bord du chemin pour s'étirer afin de chasser les douleurs. D'autres marchant les jambes barrées. De mon côté, j'ai commencé pour la première fois à penser que de suivre le groupe de 3h40 jusqu'à la fin était envisageable. Je n'y croyait pas!

C'est alors que la traversée du désert commença. J'en étais rendu à me trouver des moyens d'épargner de l'énergie, comme en évitant de pencher ma tête trop vers l'avant, ce qui crée des tensions inutiles dans la nuque. Ou comme balancer les bras de manière exagérée dans les petites côtes, comme si ça allait vraiment m'aider... Ou alors comme réduire de manière ridicule mes enjambées, pour réduire la force de l'impact au sol de chacun de mes pas. Ou bien d'éviter de regarder ma montre, ce qui m'obligeait à lever mon bras de quelques centimètres. Tous les trucs sont bons pour faire quitter nos pensées de notre corps, pour que le temps et les kilomètres passent plus rapidement. C'est aussi le bon moment pour pratiquer nos fractions. Il reste l'équivalent de 3 tours du Lac des Nations. Il reste 5/6 de 2 tours du Lac des Nations...

... Il reste 1 tour et demi du Lac des Nations, et il reste uniquement moi avec le lapin de 3h40. Tous les autres du groupe ont cassé. Sauf moi. Je me prends vraiment pour le champion du monde. Le Mâle Alpha Original. Même si des centaines de coureurs ont déjà terminé et qu'il me reste 5 km à faire.

À 3 km de la fin, la foule de spectateurs prend de l'ampleur. Je l'entends à traves mes écouteurs. L'ambiance est folle. Les gens crient, sonnent des cloches à vaches, ont des pancartes dans les mains en haut de leur tête avec des slogans comme "If Marathon Was Easy Then They'd Call It Your Mom". Ça donne de l'énergie exactement quand il en faut. Je commence à dépasser le lapin. Le parcours devient plus étroit, on sent l'énergie de la foule. J'augmente ma vitesse à celle que j'ai durant un demi-marathon. Je ne comprends même pas comment je peux aller aussi vite rendu à cette portion de la course. Le lapin est loin derrière moi. Je vois une pancarte 500 mètres au loin. J'enlève mes écouteurs pour puiser mon énergie que je n'ai plus dans celle de la foule. 300 mètres. 200 mètres. Je vois au loin l'arche de la ligne d'arrivée avec le chronomètre géant.

Ça y est, je venais de remporter mes Jeux Olympiques à moi, avec un chrono de 3h38. 12 minutes plus rapidement que mon record! 7 minutes plus rapidement que mon objectif en début de course.


C'est à ce moment que tout prend son sens. C'est là qu'on comprend c'est quoi le trip de flober 100$ pour s'inscrire à une course à 750 km de sa maison, de prendre 2 jours de congé au travail, de se lever à 5h00 le matin quand on gèle et qu'il fait noir, d'y aller mollo avec la bière lors de 5 à 7 durant tout l'été.

Et c'est là qu'on reçoit notre médaille de participation. Parce que même si on a pas gagné pour vrai, on a gagné quand même.




Aucun commentaire:

Publier un commentaire